Construire la « mémoire manquante » de la Shoah avec une classe de
première bilingue
par Ludmila Acone
Une scène dépouillée, des lycéens sont à la cantine. Une élève se plaint, elle prétend vouloir récupérer ses affaires au grenier de l’établissement. On lui en dénie l’accès, elle proteste mais rien n’y fait. C’est qu’elle est curieuse, c’est que le grenier on n’a pas le droit d’y accéder. Pourquoi ? Que se cache-t-il là-dedans ? Des secrets ? Un cadavre ? Les élèves arrivent à voler la clé dans le bureau du Proviseur et à entrer dans le grenier.
Une scène dépouillée, des lycéens sont à la cantine. Une élève se plaint, elle prétend vouloir récupérer ses affaires au grenier de l’établissement. On lui en dénie l’accès, elle proteste mais rien n’y fait. C’est qu’elle est curieuse, c’est que le grenier on n’a pas le droit d’y accéder. Pourquoi ? Que se cache-t-il là-dedans ? Des secrets ? Un cadavre ? Les élèves arrivent à voler la clé dans le bureau du Proviseur et à entrer dans le grenier.
C’est le début d’une composition
théâtrale conçue et écrite par des élèves de la section EsaBac (section
bilingue franco-italienne) du Lycée Victor Louis de Talence avec leur
enseignante en histoire et géographie.
Questions de mémoire…
J’ai conçu ce projet dans le
cadre du concours Ton regard sur la Shoah, prix Elisabeth Sentuc-Brody, proposé
pour la troisième année par Le Centre culturel Yavné de Bordeaux aux élèves de
troisième et aux lycéens de l’agglomération bordelaise. Cette année il était
proposé de réaliser une courte pièce de théâtre qui devait s’intituler «
Mémoire manquante » avec le contexte fictif suivant : « Nous sommes en 2055.
Plus personne ne parle de la Shoah, tous les survivants et les justes ont
disparus depuis bientôt trente ans. Des théories révisionnistes se sont
répandues, la mémoire de la Shoah a disparu. Mais un jour, des jeunes trouvent
par hasard une mallette contenant des livres sur la Shoah et des témoignages de
survivants ».
Le défi à relever était complexe.
Comment répondre à cet appel ? Pouvait-on y répondre avec une classe bilingue ?
Quelle langue utiliser ? Fallait-il traduire, mais que traduire ? Et plus
généralement comment parler, comment « dire » et comment « jouer » la Shoah ?
Questions de langue…
D’emblée j’ai proposé une piste à
partir des travaux de Janine Altounian, petite fille de rescapé du génocide
arménien. Traductrice de Freud et psychanalyste, elle a décidé de traduire les
mémoires de son grand père sur le génocide ; elle a été immédiatement
confrontée précisément à ces questions : peut-on traduire ? Comment traduire ?
Quelle langue utiliser ? Selon Janine Altounian, transmettre l’expérience du
génocide et de la déportation pour les enfants des rescapés passe par
l’appropriation de la culture et de la langue du pays d’accueil, seul moyen
pour elle d’inscrire l’indicible dans un espace autre ; « il faut passer par la
culture de l’autre pour pouvoir exprimer sa propre culture engloutie et
exterminée, de façon à la traduire dans la culture de l’autre et l’exprimer sur
un plan universel ».
Tout traducteur sait qu’on on ne
traduit jamais uniquement d’une langue à l’autre mais que l’on crée
inévitablement une troisième langue. Reste un défi de taille : traduire et dire
l’horreur, dans quelle langue ? Existe-t-il une langue pour dire l’horreur,
s’agit-il une troisième ou d’une quatrième langue ? Est-elle uniquement verbale
?
Ayant présenté aux élèves
l’ouvrage L’intraduisible , portant sur le génocide arménien, et en le
comparant avec la destruction des juifs d’Europe durant la seconde guerre
mondiale, nous avons travaillé en classe à partir de l’impossibilité de
traduire l’absence.
Le caractère « intraduisible » de
l’horreur de la Shoah et la nécessité de rendre visible cette mémoire
manquante, nous a conduit à explorer la possibilité de dire ce qui ne peut
l’être grâce à un travail mêlant les deux langues dans laquelle les élèves
étudient, le français et l’italien, et de les relier au geste. Ces trois
langues de notre expérimentation : le français, l’Italien et le geste,
constituent une base permettant de créer un autre objet, cet « intraduisible »
à travers lequel nous voulions rendre la mémoire vivante.
Ainsi, les élèves ont expérimenté
comment le travail à partir des deux langues permet de créer une « troisième
langue », et comment le geste permet de traduire l’émotion, même celle liée à
l’absence. Il s’agit donc de rendre visible cette mémoire manquante, par-delà
l’absence et de construire un plaidoyer pour le dialogue, l’échange et le vivre
ensemble (...)
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